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Lettres ouvertes à la Cinémathèque Française
8 février 2016

Témoignage 16. D. L.

En apprenant qu’une manifestation allait avoir lieu à la Cinémathèque française, j’ai tenu à apporter mon témoignage sur ce que j’y ai vécu en tant qu’agent d’accueil pour le compte d’une société externalisée. J’espère ainsi contribuer à dresser un portrait plus précis de la façon dont est gérée cette association 1901.

 Je suis devenu agent d’accueil à la Cinémathèque française au début du mois d’avril 2009. Lorsqu’on occupe ce poste ou celui de chef d’équipe, on travaille en réalité pour l’agence City one qui nous engage en CDI ( un CDI qui nous rattache à City one et qui leur permet de nous menacer de nous changer de site en cas de mécontentement ). City one insiste par ailleurs pour que nos relations avec le personnel de la Cinémathèque s’arrêtent à des rapports strictement professionnels. Et notre travail dépassant de loin celui de simple agent d’accueil, il nécessite une communication permanente avec les employés et cela devient donc rapidement impossible (la liste des tâches est longue et nous avons parfois de vraies responsabilités. Il nous arrive même d’être seuls à gérer l’accueil, la billetterie et les salles de l’établissement).

Sur un lieu de travail, les affinités se créent bien malgré nous. Et cette directive n’est pas le seul aspect de la gestion de la cinémathèque qui pourrait d’apparenter à de la ségrégation. Les abonnés de la cinémathèque sont tout autant méprisés…

Certains abonnés, et ce sont eux, les vrais héritiers d’Henri Langlois, viennent assidument à chaque cycle, à chaque séance. Ils tentent tant bien que mal d’assister à chaque événement. Il leur suffit de s’inscrire auprès de nous sur des listes, et on peut compter sur eux pour se déplacer en premier et figurer ainsi en tête de liste. C’est leur droit !

Le jour où la direction de l’accueil nous a demandé de retirer certaines personnes de ces listes, sous prétexte qu’elles seraient un peu marginales (Henri Langlois les aurait considéré comme ses frères), j’ai désenchanté par rapport à mon travail. Ce type de demande étant courantes, j’avalais des couleuvres et le malaise devenait chaque jour plus pesant. Les commentaires sur leur tenue, leur odeur, leurs manières n’étaient pas rares. Souvent dissimulés derrière de l’humour cynique pas vraiment drôle. Et pourtant, eux plus que n’importe qui ont leur place à la cinémathèque française, cette maison qu’Henri Langlois, leur confrère cinéphile, leur a battit pour l’éternité.

Plus particulièrement lorsqu’on est cinéphile, mais c’est valable pour tout le monde, il nous est impossible de nous conduire comme des robots si on décide de travailler à la cinémathèque française. C’est ce que plusieurs générations d’agents d’accueil,  qui ne se sont jamais rencontrés, ont constaté au fil des années en tentant tant bien que mal de témoigner de cette défaillance à la direction dans l’intérêt général et surtout dans celui des lieux et des abonnés. Et nous avons tous la particularité d’avoir fait notre travail avec sérieux, avec zèle et avec passion. Assidument. Sans fausse note.

Une association a son histoire et celle de la cinémathèque française n’est pas seulement liée au cinéma mais aussi à l’esprit contestataire qui fait l’âme de la société française dans son ensemble. Un lieu qui a servi de point de départ à une évolution des mentalités (mai 1968 / Annulation du festival de Cannes par « les gens de la cinémathèque ») ne peut pas être géré comme un multiplexe. C’est une question d’éthique, et certains agents d’accueil de la cinémathèque, dont je fais partie parmi tant d’autres, ne peuvent pas accepter de vendre leur âme en ces lieux pour ces raisons évidentes pour certains et marginales pour d’autres. Et comme pour tout ce qui touche à ce qui nous rassemble, à savoir nos valeurs les plus fondamentales, c’est à l’opinion publique de juger et non pas systématiquement à la direction qui n’est pas à l’abris des erreurs et des fautes morales. Les personnes chargées de l’accueil de la Cinémathèque n’y connaissent pas grand chose en cinéma et n’ont pas conscience de la responsabilité morale qui leur imposée par l’histoire de l’association qu’elles servent ( qui les sert dans le cas présent ). Et malheureusement, bien que les différents secteurs soient gérés par des cinéphiles et pas les moindres, nos témoignages, qui pourtant les concernent eux aussi, sont restés lettre morte au fil des années. Alors même que la plupart d’entre eux témoignaient verbalement et régulièrement leur soutien auprès de nous. Les comprendre, oui. Mais jusqu’à un certain point.

" Le monde est dangereux à vivre non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. "

Albert Einstein

Pour en revenir au statut de l’agent d’accueil, cette volonté de nous déshumaniser sur notre lieu de travail devient donc rapidement invivable. De plus, elle est parfois contredite par la responsable de l’accueil elle-même, qui ne manque pas d’humour et de charisme. C’est parfois plus fort qu’elle car après tout, et c’est aussi valable pour la direction, nous ne sommes que des humains. Ces moments-là, chaleureux et pas si rares, rendent plus pénibles à digérer les moments ou la direction montre son autre visage, celui qui fait mal à la dignité du petit personnel et des abonnés.

On nous demande aussi de ne pas être trop familier avec la clientèle ( de nous comporter comme des robots programmés par une brochure disponible chez City one ), qui est majoritairement composée d’abonnés ( que nous voyons tous les jours, et souvent du matin au soir). Ces abonnés, qui sont le cœur de la Cinémathèque, créent des liens avec nous parce que nous faisons partie du décor en plus d’être leur seul lien humain avec ce lieu qu’ils affectionnent et qui est même tout pour certains d’entre eux. Et ça se respecte ! A leurs yeux, le lieu reste une association. Ils n’acceptent pas l’idée que ce qui est pour eux un lieu de vie ressemble de plus en plus à une entreprise libérale.

Cependant, la démarche de la direction est cohérente : aidés par des rétrospectives et des expositions prestigieuses, leur but est de remplacer les abonnés marginaux par un public nouveau et beaucoup plus présentable. Une clientèle plus adaptée aux politesses et aux sourires forcés. Dans ce sens, des robots programmés par city one seraient à leur place. Mais c’est la maison d’Henri Langlois. Pas la leur ! ☺

 Au quotidien, nous sommes souvent autonomes et non supervisés, puisque la responsable de la billetterie et nos chefs d’équipes sont souvent débordés ( la liste des tâches de ces derniers est longue et évolutive ). Au fur et à mesure des mois, les tâches se multiplient, mais le salaire n’augmente jamais ( nous sommes payés au SMIC, avec des primes qui vont et viennent selon l’humeur de city one et les directives de celle qu’ils appellent « la cliente » ). La plupart des hôtes étant diplômés et compétents, ils représentent un excellent rapport qualité / prix. Surtout les chefs d’équipes, à peine mieux payés que les agents alors qu’ils gèrent souvent seuls le fonctionnement des séances et des expositions, en plus de tous les problèmes qui nous tombent dessus chaque jour ( et nous n’avons pas à faire à une clientèle facile, surtout pendant les nombreux événements ). Et pourtant, malgré un travail optimal et parfois zélé de notre part à tous ( City one engage majoritairement des passionnés d’art et de cinéma ), certains reçoivent des blâmes et des rappels à l’ordre pour des motifs dérisoires).

 A la Cinémathèque, si on doit se plaindre de quelque chose, personne ne nous écoute. En nous adressant aux responsables du secteur billetterie, on nous explique que c’est le problème de City one. Et en nous adressant à nos responsables de City one, on nous répond que la Cinémathèque est fautive. Et même pour des choses importantes, qui nous empêchent de mener une vie normale à l’extérieur de notre lieu de travail. Pendant des mois, je me suis plains que nous recevions trop tard nos plannings hebdomadaires, sur lesquelles sont attribués nos postes ( nous les recevions le jeudi ou le vendredi pour le lundi. Et parfois même jamais, par oubli, nous disait-on ). De plus, nous ne recevions pas de plannings prévisionnels de nos jours à effectuer dans le mois ( et nous ne travaillons jamais les mêmes jours et aux même heures. Comme on nous le précise pendant le recrutement, aucune semaine ne ressemble à une autre. Du coup, il nous est souvent impossible de prévoir quoi que ce soit à l’avance. Et au lieu de réparer l’erreur, on nous répond que nous avons la possibilité de faire des échanges entre nous. Mais ces changements sont rarement possibles.

Tout ceci est dérisoire par rapport aux pressions psychologiques et émotionnelles mais ça s’y ajoute.

 Ce ne sont que les 30 derniers jours où j’ai travaillé à la cinémathèque que la situation des plannings a évolué ( mais en réalité, le planning prévisionnel était rempli d’erreurs). Ces changements ont eu lieu au moment où City one allait renouveler son contrat avec la Cinémathèque, et changer, avec les nouvelles directives de la Cinémathèque, la façon de gérer les agents. De janvier à mars 2010, plusieurs membres de mon équipe ont été contraints de partir ( avec une rupture conventionnelle, qui est pour les premiers à être partis un licenciement déguisé. Et je vais revenir là-dessus. Les autres ne supportaient plus la pression et le traitement injuste infligé à des collègues dont ils respectaient le travail et la personne ). Par ailleurs, un mois avant mon départ, deux personnes prenaient des notes en faisant de nombreuses remarques, alors que nous les avons formés nous-même sur place, Ils nous ont tenu compagnie pendant des heures, en restant derrière nous pour nous observer. Comme beaucoup de choses, car rien n’est jamais clair avec City one et avec la cinémathèque, tout ceci restera un mystère.

J’ai été un des premiers à « bénéficier » de la rupture conventionnelle, que j’ai vaguement négocié avec le directeur des ressources humaines. Je lui ai expliqué mon point de vue, mes reproches et mes remarques sur la gestion du personnel d’accueil de la Cinémathèque. Et il ne m’a contredit sur aucun point. Au contraire, il m’a dit du mal de la responsable du secteur Art et Culture de City one, qui m’en avait dit de lui 3 jours avant. En gros, je me suis rapidement rendu compte que nous étions gérés en réalité par des enfants avec des corps d’adulte. Des enfants particulièrement froids et vicieux dans leur rôle.

Mon entretien avec le DRH a eu lieu après un très long entretien avec cette responsable, une jeune femme d’une vingtaine d’années. Notre entretien est le plus étrange que j’aie eu avec un supérieur hiérarchique, et j’en ai connu, des petits boulots. Pendant plus d’une heure, elle m’a complimenté et pris dans le sens du poil. Et elle m’a reproché mon côté contestataire. Je lui ai alors rappelé, dans le calme, mes contestations, et elle m’a répondu que leurs méthodes étaient légales ( y compris lorsqu’ils font travailler un agent de 6H30 à 7H consécutives, parfois au même poste, et pour l’absence de plannings prévisionnels et les délais d’envoi du planning hebdomadaire. Le DRH, lui, m’a tenu un autre discours qui allait plus dans mon sens et qui servait à enfoncer la responsable en question )Mais dans le fond, c’est l’absence de respect de mes employeurs que je contestais. Et au final, elle m’a expliqué que la gestion de l’accueil allait changer radicalement, et qu’elle pensait que je n’allais pas le supporter ( elle a lourdement insisté là-dessus, comme pour me pousser à partir ). Elle m’a expliqué qu’elle aurait pu monter un dossier disciplinaire contre moi ( ???), mais qu’elle ne l’a pas fait ( en ajoutant qu’il n’était pas trop tard, et elle a renouvelé sa menace après mon entretien avec le DRH ). Curieux, car j’ai la conscience propre, je l’ai questionné à ce sujet. Et elle m’a répondu par un sourire. Elle m’a proposé la rupture conventionnelle, en insistant sur le fait que le directeur des ressources humaines était un requin, et que je ne devais pas me laisser intimider ( ce qui a été démenti dès la première minute de cet entretien. Le DRH est d’ailleurs lui aussi allé miraculeusement dans mon sens, me prenant aussi dans le sens du poil ). Les deux entretiens étaient donc très cordiaux ( le côté vicieux de la situation mis à part, ils ont été doux et curieusement attentionnés ). Et je me trompe peut-être, mais j’ai eu le sentiment que cette rupture conventionnelle, ajoutée à un mois de salaire offert par City one, était destinée à ce que je ne les attaque pas ou que je ne fasse pas de bruit ( et ma responsable a insisté sur mes liens étroits avec des abonnés et des gens de la Cinémathèque. On a aussi parlé de la presse ). J’ai eu l’impression qu’on voulait me mettre dehors au plus vite, mais en évitant que mon départ fasse du bruit. Mais le plus grave concerne mes chefs d’équipe, et deux sur trois sont partis en même temps que moi.

Un de ces chefs d’équipe, avec qui je suis resté proche, est celui qui contestait, comme nous, les problèmes de plannings ainsi que certaines de nos conditions de travail, et qui avait reçu un rappel à l’ordre pour contestation (ce genre de chose arrive lorsqu’on est pas syndiqué, pas représenté). On lui a expliqué, ainsi qu’aux autres, qu’ils allaient à présent devoir travailler sur plusieurs sites à la fois, en alternance. Deux mois par-ci et deux mois par-là. Pourtant, ils sont chefs d’équipe à la Cinémathèque française depuis 2 ans ou plus. Et la majorité des gens qui travaillent à la Cinémathèque et des abonnés vous diront d’eux le plus grand bien. Les responsables de la Cinémathèque et de City one n’étaient pas dupes : Dans ces conditions, les chefs d’équipe allaient évidemment partir. Comment peux t’on accepter une chose pareille ? Comment le supporter au quotidien ? C’est en cela que leur rupture conventionnelle est un licenciement déguisé. Tout comme les CDI qu’ils proposent sont des faux CDI qui cachent des conditions de travail précaires et des outils de pression.

Ce faux départ volontaire a été vécu par ce chef d’équipe très investi, respectable, intègre dans la douleur et la tristesse. Et plus tard, il n’a jamais été question de ces soi-disant mutations. C’était un mensonge parmi tant d’autres mais ce sont leurs méthodes. Et contrairement à ce qu’ils pensent, je ne suis pas certain que tout ça soit si légal que ça.

Les chefs d’équipe sont partis sans remerciement. Sans contact avec les responsables de la billetterie de la Cinémathèque, à qui ils ont fourni un excellent travail ( et au quotidien, leur relations étaient cordiales. Les sourires et l’humour ne manquaient pas. Peut-être au fond pour que le travail soit bien fait malgré des conditions peu acceptables ? ). Ils sont partis comme des moins que rien, alors qu’ils venaient de contribuer pendant deux ans, plus qu’à moitié, à gérer le bon fonctionnement de l’établissement. Et après plusieurs mois passés là-bas, à voir les responsables de l’accueil se moquer par exemple des associations caritatives à qui ils proposaient des réductions, je n’étais pas surpris par tout ça.

Travailler au sein de l’équipe d’accueil de la Cinémathèque française, ça ressemble à ça. Et encore, j’ai passé de nombreux détails. On ne ressort pas de là indemne. Surtout les plus investis. Et 6 mois après mon départ, la pilule n’est toujours pas passée ( peut-être aurais-je dû les attaquer pour me soulager ? ). J’espère que ce témoignage, qui peut être confirmé par l’ensemble de ceux qui ont occupé mon poste et par du personnel de la cinémathèque, vous aidera je l’espère à y voir plus clair sur la façon inhumaine dont est volontairement gérée cette institution. Un lieu où on prétend défendre un cinéma de gauche et engagé, alors que les méthodes qui y sont appliquées ressemblent à celles d’une entreprise ultra libérale. Et lorsque des abonnés et du personnel ont cherché à parler de nos conditions de départ au directeur, il a fait la sourde oreille. Que ce soit sur son blog, par mail, ou en tête-à-tête.
Et pour City one, la Cinémathèque est donc responsable de tout ça. Selon eux, ils répondent à des directives qu’ils se contentent d’appliquer sans se poser de questions, dans l’espoir de prolonger indéfiniment leur contrat.

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